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Niger : Parler de la situation sociopolitique du pays, … oui mais de laquelle ?

Posted on 2020/09/01

Un ami m'écrit « … sur la situation sociopolitique du pays. Pourquoi un tel silence assourdissant de la part de la diaspora notamment sa composante intellectuelle ? » Pense -t-il qu'il y a une perspective unique ou partagée par la diaspora ou simplement que le recul que favorise la distance permet aussi à celle-ci d'avoir un regard différent, peut-être plus serein ? Je n'en sais rien, mais voici ma réponse, un peu longue, car l'enjeu en vaut la peine.

*Une situation qui en contient plusieurs….*

La question qui me vint à l'esprit en lisant son message est celle de savoir de quelle situation il s'agit, car pour ma part, j’ai dit ce que je considère comme étant « les fondamentaux de la situation qui prévaut en trois faits stylisés », ici même depuis le 31 Mai 2019 ?

De l’insécurité semée par les groupes armés terroristes, jihadistes ou non, qui gagne tout le pays et même toute la région du Sahel ? C'est une évidence, dont on ne peut pas et on ne doit pas parler franchement, tellement la question est devenue sensible. La colère contre la France, pour avoir classé « Rouge » tout le Niger, sur le site de conseils aux voyageurs du quai d'Orsay était aussi forte sur les réseaux sociaux que l'émotion provoquée par la tuerie à l'origine du classement. Très peu de nos compatriotes semblent savoir que ces conseils n’ont rien d’obligatoire, pour des français qui voudraient vraiment visiter le Niger. Si l’on peut comprendre le refus de toute stigmatisation, il n’est pas certain que le déni soit la réponse adéquate. Quant à la sensibilité, elle vire à la sensiblerie, lorsqu’une des institutions de la République en arrive à se demander « selon quels critères et à quels titres » la France aurait fait des recommandations à ses citoyens, car cela relèverait d’une obstruction à la jouissance des droits de l’homme. Quand on est rendu là, comme aiment à dire les Québécois (mon ami comprendra, il y a fait ses études), que peut-on dire d’autre, qu’il faut parfois savoir raison garder.

De la situation entretenue par les politiciens, qui se disputent sans arrêt sur les règles et les protocoles des prochaines élections ? Tout se passe comme si, pour chacun de la centaine ou plus de nos partis politiques, le problème à la fois le plus urgent et le plus important, c’est un fichier électoral qui recense surtout ses électeurs à lui, et une commission électorale qui est indépendante à ses yeux, c’est-à-dire qui l'est suffisamment pour faire pencher la balance en sa faveur, quoi qu'il arrive dans les urnes. Trente ans après la conférence nationale souveraine, trois coups d'états et autant de constitutions, on en est encore à s'accorder sur les règles du jeu. Le moins que l'on puisse dire c'est que la confiance au sein de l'élite n'a toujours pas atteint le minimum requis pour une action collective efficace et cela ne va pas sans coût pour le pays.

De la situation dépeinte par les plus optimistes d'entre nous ? La majorité de ceux-là rêvent de nous voir devenir comme l'Arabie saoudite, pays pétrolier et rentier par excellence, et surtout pas comme le Danemark, faiblement doté en ressources minières mais dont la population est considérée comme la plus heureuse du monde. II se contentent en effet de réciter la liste réelle ou supposée de nos richesses du sous-sol, indispensables au reste du monde et qui devraient nous dispenser d’efforts et de transformation profonde pour éradiquer la pauvreté et distribuer à chacun d’entre nous sa part de l’aubaine. Que dire d'autre qu'il suffit de regarder attentivement la géographie de la pauvreté dans le monde pour réaliser que les plus riches vivent plutôt dans les pays les plus éduqués, ceux qui maîtrisent le mieux les technologies nouvelles, ceux qui créent et innovent mais qui sont loin d'être tous généreusement dotés en ressources naturelles.

*Une perspective parmi d'autres dans la diaspora….*

On peut cumuler toutes les dynamiques en cours dans un amalgame, d'autant plus déprimant que l'on est loin du pays et des gens que l'on aime, ou s’efforcer d’en faire une lecture informée par ce que l'on voit là où on vit.

Ainsi, l'échéance la plus imminente du calendrier politique étant les prochaines élections générales, la diaspora, qui ne pourra pas voter cette fois-ci en raison de la pandémie de la Covid-19, mais dont chaque membre est libre de faire connaître sa préférence au moment de son choix, sait que dans les pays démocratiques où elle réside, un consensus inscrit dans le marbre est que « *voter est une condition nécessaire mais pas suffisante pour une démocratie* »[i] <#_edn1>. La partie de la diaspora, non encore affilié à un parti politique attend, peut-être, pour s’exprimer, de pouvoir distinguer les partis politiques par l'énoncé des actions réalisables qu’ils proposent pour résoudre nos problèmes les plus cruciaux et non par de vagues « projets de société », rédigés pour répondre à l'exigence administrative pour l'enregistrement d'un parti. Car ces projets se résument souvent à une profession de foi pour « la défense de la démocratie et de la bonne gouvernance », sans dire contre qui on protège la première ni comment on réalise la seconde.

Même si l’on peut imputer les imperfections de notre démocratie à sa jeunesse, on ne peut pas réduire tout le reste à la seule « gouvernance » dans un contexte comme le nôtre. Le développement économique et social reste encore une nécessité impérieuse. Or les relations entre la gouvernance et la croissance économique, seule source véritable de développement, ne sont pas aussi simples que sous la plume et dans les messages « audio » de nos politiciens, de leurs militants ou même des « acteurs » de la société civile. Pour beaucoup d'entre eux, il suffit d'instaurer la « bonne gouvernance », pour qu'elle enfante à son tour, la prospérité. Certains économistes, dont Jeffrey Sachs[ii] <#_edn2> suggèrent que la gouvernance est « endogène » par rapport à la croissance, ce qui veut dire, qu'elle découle de la croissance et ne peut donc en être la cause ou le moteur. Car gouverner coûte cher et bien gouverner encore plus. C'est peut-être pourquoi il n’y a pas ou peu de pays très pauvres et bien gouvernés. II n'est naturellement pas question de renoncer à gouverner mieux ou même bien, si possible, mais de réaliser que la gouvernance n'est pas une panacée pour le développement d'un pays (Taïwan, la Coré du Sud et même la Chine sont des illustrations éloquentes de pays qui se sont développés sans avoir jamais été des modèles de gouvernance vertueuse). La fixation sur la seule gouvernance est d'autant plus surprenante que ses partisans les plus virulents se recrutent aussi dans des partis qui ont déjà gouverné, sans avoir convaincu qu'ils pouvaient faire mieux ni même différemment. Tout aussi surprenant est la présentation récurrente du rang de notre pays sur le classement de l'IDH du PNUD comme indicateur de mauvaise gouvernance. Ceux qui le font ignorent ou font semblant d'oublier que nous occupions ce rang depuis le premier rapport publié en 1990. II savent surtout qu’il s’agit de mesurer le développement d'un pays, mieux que ne le fait le seul PIB, et non d'évaluer la performance d'un gouvernement, sauf à supposer que dans ce pays-là, le gouvernement est le seul acteur du développement.

Notre problème a manifestement « *trait non pas à l’échec des systèmes politiques *[comme le nôtre]* à devenir ou à rester démocratiques, mais leur incapacité à fournir les services élémentaires que les populations exigent de leur gouvernement… *()* …Cet échec à tenir les promesses de la démocratie constitue ce qui est sans doute le plus grand défi qui soit à la légitimité de tels systèmes politiques* »[iii] <#_edn3>. On pourrait faire les élections les plus transparentes du monde, si rien d'autre ne change dans nos institutions économiques, nos pratiques sociales et bien sûr aussi dans nos politiques publiques, il est probable que les populations resteront privées des services élémentaires pour longtemps.

*Réorganiser nos priorités et la séquence des actions…*

Que faire dès lors, si nous voulons prioritairement répondre aux besoins des populations afin de relégitimer l’état. II n’y a pas d’ingénierie de l'histoire, mais celle-ci livre, parfois, des enseignements très utiles, si on sait l'écouter.

A court terme, le terrain imposant la manœuvre, (comme disent les stratèges militaires) la priorité absolue reste la sécurité. II faut que l'état retrouve le monopole de la force légitime et qu'il réduise les ravages des forces armées terroristes à la dimension d'un problème de police, quoiqu'il en coûte. Car sans cela, il ne peut y avoir ni gouvernance ni démocratie et encore moins de croissance ou de développement. Le niveau actuel d'insécurité dans notre pays est donc rédhibitoire pour le développement. Mais il est difficile d'arbitrer entre nos partis politiques sur la base de leur stratégie pour résoudre cette question, car même s'ils en ont une, on ne la connaît pas. Cela devrait pourtant être au cœur des programmes que proposent ceux qui veulent gouverner. En campagne électorale, critiquer le bilan de l'équipe sortante est légitime, mais démontrer que l'on peut faire mieux, en disant comment on le fait, est sans aucun doute plus important pour éclairer les électeurs. C'est à tout le moins ce que l'on peut observer dans les démocraties plus matures. La diaspora qui y vit peut en témoigner.

A moyen et long terme, même si historiquement chaque pays a tracé son propre chemin vers le bien-être, les économistes du développement s'accordent aujourd'hui sur quelques invariants nécessaires au déclenchement de la croissance et du développement économique dans un pays. II s’agit d’institutions économiques et sociales inclusives, les seules susceptibles de créer les incitations pour que chacun contribue à la richesse de la nation, simplement en poursuivant la recherche de ses propres intérêts. Ces institutions, comprises comme des pratiques bien plus que des textes inappliqués, comprennent un droit de propriété clair et uniforme sur tout le territoire, une exécution effective des contrats, des marchés fonctionnels et concurrentiels, une administration publique impersonnelle, l'égalité réelle de tous devant la loi commune, la primauté du mérite sur la naissance ou les connexions pour occuper les emplois publics, et quelques autres. Deux parmi ces institutions manquent cruellement chez nous : un droit à la propriété foncière incitatif (pensez à notre régime foncier et pensez à ce que la réforme de la propriété individuelle du foncier agricole par Deng Xiaoping a déclenché en Chine), et une exécution irréprochable des contrats, (pensez à nos informels, qui travestissent tout, y compris des activités de l’état). Lorsque ces institutions sont en place, on n'a point besoin d'homme providentiel, à la tête du pays, pour qu'elles fonctionnent et incitent à la production de richesses. Un leadership compétent et concentré sur les biens publics et l'intérêt général suffit. Lorsque ces institutions manquent, la nation peut se trouver prise dans un « piège malthusien », où faute de croissance suffisante de la productivité, la répartition des revenus fatalement insuffisants, se fait largement selon le schéma d'un jeu à somme nulle, et le pays échouera lamentablement[iv] <#_edn4>. Si on n'en est pas encore là, on n'en est pas loin.

On a évidemment besoin d’institutions politiques elles aussi inclusives qui facilitent l'éclosion des institutions économiques et c'est pourquoi, il faudra parfaire notre démocratie, par des règles et surtout des pratiques qui rendent les gouvernants redevables, les citoyens égaux devant la loi, y compris devant l'impôt et l’état lui-même soumis à la loi.

Tant et aussi longtemps que l'on considèrera comme facultatives ou secondaires ces transformations structurelles, pour nous satisfaire d’institutions politiques, calibrées pour l’accaparement de rentes, c’est-à-dire en réalité des institutions extractives, nous aurons de faibles chances de réaliser les promesses de la démocratie et notre état de recouvrer sa pleine légitimité.

Tu ne te répètes pas un peu ? Si, bien sûr, mais n'oublions jamais la magnifique formule de Camille Bordas, « la pédagogie est affaire de répétition, et il faut du temps pour apprendre à quelqu'un qu'il est entièrement libre »[v] <#_edn5>. Mon ami qui m'a interpellé et moi-même avons tous été enseignants, une partie de notre carrière. Dès lors, même si mon propos est peut-être inaudible aujourd’hui pour l'ensemble de notre élite, je suis sûr que lui m'aura entendu. Espérons qu'il ne sera pas le seul.

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[i] <#_ednref1> Kloppenberg J.T. Toward Democracy. The struggle for self-rule in European and American thought. Page 4.

[ii] <#_ednref2> Jeffrey Sachs: The end of poverty: Economic possibilities for our time, New York, Penguin, 2005.

[iii] <#_ednref3> Francis Fukuyama : Le début de l'histoire. Edition Saint Simon, Paris 2011. page 18

[iv] <#_ednref4> Acemoglu D. & Robinson J.A. Why nations fall. The origin of power, prosperity, and poverty. Crown Publishing Group, New York, 2012.

[v] <#_ednref5> Camille Bordas. Partie Commune, Éditeur, Joelle Losfeld.2011.