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Niger. Les diplômés, les intellectuels et la loi

Posted on 2018/04/05

Au Niger, trop souvent, des polémiques futiles passent pour de la vivacité démocratique, ce qui pervertit le débat public, à la fois nécessaire et fécond s’il est bien fait. C’est ainsi qu’en ce premier trimestre de 2018, on en avait à peine terminé avec ceux qui, dont des étudiants, en principe candidats à des diplômes, étrillaient un universitaire, pour avoir fait un distinguo entre les diplômes « mineurs », et les diplômes « majeurs », que les intellectuels « de l’extérieur » sont attaqués par des « intellectuels » officiels, évidemment de l’intérieur, au motif que les premiers sont suspects de sympathie avec des activistes de la société civile eux-mêmes accusés d’arrière-pensées politiques dans leur opposition à la loi des finances 2018. II est possible de clarifier un peu la cacophonie en réduisant les « chicanes » à trois questions. La loi des finances est-elle légale (et donc s’impose-t-elle à tous) et par conséquent juste et incontestable ? II y a-t-il des diplômes mineurs et des diplômes majeurs ou peut-on décemment hiérarchiser les diplômes sans être arrogant ou prétentieux ? Qui sont les intellectuels et que peut-on en attendre sous un régime démocratique dans un pays en développement ?

I. La loi des finances

1.La loi des finances 2018 est parfaitement légale et s’impose à tous. Elle a été soumise par un gouvernement légitime, débattue et adoptée par un parlement représentatif régulièrement élu. C’est donc une loi de la République, qui s’applique parfaitement et doit être exécuté intégralement.

2. Est-elle pour autant juste et incontestable ? On a parfaitement le droit d’en douter et on peut la juger injuste ou inéquitable, on peut la considérer comme antisociale et on a le droit, en démocratie, de le dire et de le répéter. II n’est écrit nulle part que la loi est toujours juste, et c’est parce qu’elle peut être injuste qu’on a le droit de la contester. On ne peut cependant ni se soustraire à la loi soi-même, ni s’opposer à ce qu’elle soit appliquée à d’autres, sauf dans des cas extrêmes et on en est loin. La chose est donc relativement simple, le gouvernement qui a reçu mandat du peuple, exécute son budget. Ceux qui estiment leurs intérêts insuffisamment pris en compte ou carrément bafoués expriment leur mécontentement. Comme rien, en matière budgétaire n’est irréversible, un prochain gouvernement peut défaire ce que celui-ci a fait. Tout le reste est de la mauvaise politique, de la politique politicienne.

3. Le débat de fond, celui qui porte sur les enjeux les plus importants, totalement absents des échanges publics, comporte, au moins deux aspects. Est-il nécessaire de revoir la fiscalité dans le sens d’une augmentation de la pression fiscale au Niger ? Est-ce que les instruments fiscaux choisis sont les plus appropriés aux objectifs affichés, qu’ils soient de nature économique (croissance) ou sociale (réduire la pauvreté) ?

4. Sur le premier point le gouvernement a raison de chercher à mobiliser le plus de ressources fiscales possibles. C’est une impérieuse nécessité si l’on veut réduire notre dépendance vis-à-vis de l’aide (et donc être plus souverain dans nos choix de politiques de développement) et même approfondir la démocratie, car seuls des citoyens qui contribuent, peuvent réellement demander des comptes aux gouvernants.

5.Sur le second point, il y a matière à débat. La défiscalisation complète de l’agriculture, la résignation face à la nécessité de mieux fiscaliser le secteur informel, sont des questions qu’il va falloir aborder, quand bien même le FMI et compagnie se méfient comme de la peste de tout ce qui touche à l’économie politique des réformes fiscales et qu’au Niger, la dépendance des partis politiques, vis-à-vis des grands commerçants, seigneurs de l’évasion fiscale, est une « prison pour tout pouvoir ». Un débat de fond est indispensable dont le siège naturel est l’assemblée nationale. La médiocrité du débat parlementaire sur le budget 2018 a montré qu’il faut ouvrir le débat à d’autres acteurs. De ce point de vue la société civile a toute sa place. Mais elle ne peut pas elle non plus s’affranchir de la contrainte de cohérence ; II est difficilement compréhensible qu’elle manifeste pour la souveraineté nationale un jour, en dénonçant les bases militaires étrangères comme une aide contraire à l’indépendance et manifester quelques semaines plus tard contre les impôts.

6.Pour autant, interdire des manifestations pacifiques dans une démocratie, que ce soit le zèle d’administrateurs locaux ou une décision gouvernementale, est pire qu’une faute, c’est une erreur ; et judiciariser la chose l’est encore plus, puisque la seule issue possible à l’impasse que crée l’emprisonnement de quelques activistes sera politique. On aura instrumentalisé la justice, qui en sortira un peu discrédité, en tout cas avec une impartialité un peu plus douteuse et une indépendance un peu plus suspecte. Au total, il n’y a aucun gagnant et le plus grand perdant est la démocratie elle même.

II. Les diplômes

1.Les diplômes, on peut en sourire sous certaines conditions, car c’est un peu comme la culture que l’on définit parfois comme étant « ce qui reste lorsque l’on a oublié tout ce que l’on a appris ». II faut donc quand même avoir appris quelque chose. On peut aussi appliquer aux diplômes une définition encore plus dérisoire de la culture, attribuée aux étudiants de Mai 1968, qui la fait ressembler à la confiture de sorte que « moins on en a plus on l’étale ». Là aussi, il faut quand même en avoir un tout petit peu, faute de quoi il n’y a rien à étaler.

2. En lisant sur les médias sociaux (je devrais dire en déchiffrant, car les commentaires ne respectaient ni l’orthographe ni la moindre grammaire) les anathèmes lancés contre un professeur d’université pour une expression qu’il a dû expliquer voire justifier, on se sent presque coupable d’être titulaire d’un « diplôme majeur », car si notre pays est aussi pauvre qu’il est, c’est évidemment la faute de ces diplômés-là. Eux les sans diplômes, guidés par ceux qui ont des diplômes mineurs auraient fait mieux, beaucoup mieux. On convoque alors des anciens et leurs performances supposées pour étayer la chose, oubliant qu’ils avaient eux-aussi les « diplômes majeurs » de leur temps. Le diplôme de William-Ponty vaut au moins un de nos master actuels et beaucoup de nos docteurs d’aujourd’hui sont loin d’avoir la plume ou la clarté de raisonnement de certains anciens de Ponty.

3. On peut évidemment discuter, ou mieux encore, débattre du contenu des diplômes, du type et du niveau de compétences souhaitables, de la formation qualifiante qui y mène et par suite de la valeur du capital humain que les parchemins signalent. C’est un débat citoyen, et tous peuvent y participer, surtout dans un pays où l’enseignement, y compris universitaire, est financé sur fonds publics, c’est-à-dire par le contribuable.

4. On pourrait même discuter de la gratuité de l’enseignement supérieur (c’est-à-dire de son financement intégral par des fonds publics), si l’on veut s’interroger sur l’équité dans l’utilisation des dépenses publiques. Ceux qui s’intéressent à l’économie de l’éducation savent que le rendement privé de l’enseignement supérieur (ce qu’il rapporte à celui qui le reçoit) est de loin supérieur à son rendement social (ce qu’il ajoute à la collectivité). Dès lors n’est-il pas légitime que celui qui en tire le plus de bénéfice, paie tout ou partie du coût ?

5. II serait incongru d’exclure les diplômés "majeurs" d’un tel débat. Car l’occasion est également propice à questionner et réformer les processus de délivrance des diplômes, y compris la sélection d’abord, puis le moment venu l’évaluation des candidats aux différents diplômes. On pourrait aussi dénoncer et même poursuivre devant les tribunaux ceux qui aident leurs enfants à tricher en achetant des épreuves. Ceux-là pensent et diffusent que les diplômés sont incompétents, car les titres se vendent, ils en savent quelque chose pour l’avoir acheté à leurs progénitures. On ne doit évidemment pas épargner les brebis galeuses parmi les enseignants et les administrateurs du système scolaire et universitaire qui participent à la fraude et discréditent les diplômes.

6. Mais rien ne serait pire que d’ignorer la hiérarchie entre les diplômes, et même entre les universités, car si tous les diplômes se valent il est à craindre qu’aucun ne vaille quoi que ce soit. Demandez aux autodidactes, ceux qui ont dû « faire sans diplôme », ils vous diront ce que cela coûte de s’en passer, ce qui dit mieux que tout ce que vaut réellement un diplôme. Quant à ceux qui n’ont jamais rien appris et ceux qui ont définitivement renoncé à apprendre, ils n’ont point besoin de diplôme pour exercer leur magistère stérile.

III. Les intellectuels

1. Qui sont-ils exactement ? Depuis leur irruption dans les média, à la suite du « J’accuse » de Zola qui relance l’affaire Dreyfus dans la France de la fin du XIXème siècle, ce sont des acteurs de la vie publique, plus faciles à reconnaître ou à décrire qu’à définir avec précision. Nul ne dira d’un macroéconomiste, même diplômé de Harvard ou d’un chimiste, même sorti d’Oxford ou de Cambridge que c’est un intellectuel, à moins qu’ils ne s’aventurent sur des terres éloignées de leurs disciplines respectives comme l’injustice d’un verdict, le primat de l’équité sur l’efficacité pour la société ou la nécessité de limiter le droit à la propriété intellectuelle pour des raisons de santé publique et le droit à l’aide médicale à l’euthanasie. II est donc clair qu’il ne suffit pas d’être diplômé pour être intellectuel. Cette condition qui n’est pas suffisante est-elle au moins nécessaire ? On est obligé de répondre par la négative, sauf à exclure Hampaté Ba et peut-être Socrate lui-même.

2. II faut certainement de l’érudition (Levi Strauss ou Raymond Aron), pas nécessairement du génie (Jean Paul Sartre) et sans doute aussi du talent (Françoise Giroud), de l’intuition et de l’audace (Simone de Beauvoir) pour être intellectuel, mais il y a des légions de personnes très intelligentes qui n’en sont pas. Les intellectuels les plus brillants sont lumineux (Bachir Diagne), denses (Aimé Césaire), puissants (Wolé Soyinka), esthète (Léopold Sédar Senghor), éblouissants (Mamani Abdoulaye) pour en citer quelques-uns parmi les africains. Mais ce sont là des intellectuels d’exception, pas juste des intellectuels et il y en a de moins illustres, mais tout aussi nécessaires à la respiration d’une société. Chacun de nous a ses références et sa propre liste à substituer aux noms cités ici.

3. Une erreur (ou une astuce) courante consiste à opposer ceux qui font un travail manuel (ceux qui sont habiles de leurs dix doigts comme on dit) à ceux qui feraient un travail « intellectuel », qui seraient de ce fait eux-mêmes des intellectuels. A ce compte-là, la majorité des intellectuels sont des employés de bureau. II n’y a évidemment rien d’intellectuel qui se passe dans l’écrasante majorité des bureaux et c’est un raccourci trompeur d’assimiler ceux qui les occupent à des intellectuels. Et qui ne voit pas le contenu authentiquement intellectuel de « l’homme qui marche » ?

4. Mais revenons chez nous et au XXIème siècle. A quoi ressemblerait un intellectuel, que fait-il et surtout à quoi peut-il bien servir, dans un pays en développement où très peu de gens lisent (une écrasante majorité parce qu’elle ne sait pas lire, et la majorité de la minorité alphabétisée, parce qu’elle ne veut pas lire, d’où il vient qu’elle diffère peu de la majorité illettrée) ?

5. Est ici intellectuel celui qui participe au débat public, parfois en prend l’initiative et assume les risques qui vont avec, en restant indépendant, ce qui ne veut pas dire qu’il est neutre, ni systématiquement « opposant ». Son arme principale devrait être l’argument, dont la force vient des faits et des idées qui les organisent, (non l’insulte grotesque ou la répétition imbécile d’un discours ou d’une rhétorique dogmatique, formatée pour servir d’explication à tout) et son instrument privilégié sa plume. II parlera de développement, d’économie, de société, de justice, de démocratie, de politique bien sûr, se mêlera des affaires publiques, des politiques publiques, celles qui nous concernent tous, des promesses de l’état de droit.

6. Un intellectuel peut-il être « officiel » ? Bien sûr, s’il le souhaite mais alors comment le distinguer du ministère orwellien de la vérité, d’où par définition toute intelligence est proscrite ? Doit-il être de « l’intérieur » pour être au-dessus de tout soupçon ? II peut choisir de l’être, car chacun est libre de se donner des limites, à l’intérieur desquelles il confine sa pensée, ou même des barreaux derrière lesquels il enferme sa raison, de sorte qu’il peut penser toujours ce qui lui paraît meilleur pour son salut. Mais alors comment ne pas le soupçonner à son tour de n’être qu’un propagandiste, dont l’une des fonctions est précisément d’anesthésier l’intelligence des peuples.

En guise de conclusion : Lorsque l’on s’attaque aux diplômés, aux universitaires et aux intellectuels, ce qui est menacé, c’est la liberté de penser et le fascisme n’est jamais loin. Lorsque l’on interdit de manifester, c’est la liberté de s’exprimer qui est menacée et l’autocratie n’est jamais loin. Dans un cas comme dans l’autre, les seuls gagnants possibles sont les marchands de certitude, et les principaux perdants sont ceux qui aspirent à une démocratie substantielle.